Le Dr Denis Mukwege, est la cible de nouvelles menaces de mort pour avoir dénoncé la poursuite des massacres dans l’Est du Congo. Le Prix Nobel de la Paix a surtout réclamé la mise en place d’un Tribunal pénal international pour juger tous les crimes restés impunis depuis plus de vingt ans.
Un homme qui dérange
Ce n’est pas la première fois que le Dr Denis Mukwege fait l’objet d’intimidations et de menaces de mort. Le fondateur de l’hôpital de Panzi, a échappé à une tentative d’assassinat en octobre 2012, en plein centre de Bukavu, la capitale du Sud Kivu. Le gardien de sa maison avait été abattu à bout portant. Le Dr Mukwege se savait en danger. Il avait été menacé à plusieurs reprises par des groupes armés pour avoir dénoncé les viols et les autres formes de violences sexuelles dont ils sont responsables, selon Amnesty international
Après un bref exil en Belgique, le Dr Mukwege était retourné dans l’Est du Congo pour poursuivre sa mission auprès des victimes, notamment les milliers de femmes violées. Les auteurs de l’attaque de 2012 n’ont jamais été arrêtés, tout comme des milliers d’autres criminels affiliés à des groupes armés. L’est de la RDC est actuellement “un sanctuaire de bandes armées”, comme l’explique dans The Conversation Valentin Migabo, chercheur à Université du Québec de Montréal.
Plus de 100 groupes nationaux et au moins six groupes armés étrangers y sont actifs et continuent de semer la terreur.
Les doléances du Dr Mukwege
Le Prix Nobel de la Paix, est aujourd’hui de nouveau menacé parce qu’il ne se contente pas de condamner la violence dans le Kivu. Le Dr Mukwege, désigne nommément les coupables présumés et réclame justice pour les victimes. Il a récemment appelé à la création d’un tribunal spécial pour la RDC afin de juger les graves crimes commis contre les civils dans l’Est du pays depuis plus de 20 ans.
Un rapport des Nations unies publié en 2010, liste les violations les plus graves des droits de l’homme commises entre 1993 et 2003. Le rapport Mapping avait recensé plus de 600 massacres qui pourraient être qualifiés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, selon RFI. Mais à ce jour aucun responsable n’a été jugé.
C’est en effet lors de la 45ème réunion du Conseil des ministres tenue par vidéoconférence, vendredi 21 août 2020 à Kinshasa, que le chef de l’État, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, a instruit le gouvernement de prendre des dispositions urgentes pour assurer la sécurité du Docteur Denis Mukwenge et ouvrir des enquêtes sur les menaces de mort dont il est victime.
Il est à noter que selon le compte rendu de cette réunion, «le Chef de l’Etat a informé les membres du Conseil des Ministres des intimidations, correspondances haineuses et menaces de mort dont le Docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018, fait l’objet à la suite de son plaidoyer en faveur de la paix dans l’Est du pays, en proposant la création d’un tribunal pénal international pour la RDC afin de juger les graves crimes qui y sont commis contre la population civile».
Pour le Président de la République, l’appel à la prise de conscience sur la violence dans l’Est de la RDC est un soutien à la sécurité de tous les Congolais. C’est pourquoi, indique le compte rendu de la 44ème réunion du Conseil des Ministres, le Président de la République a «engagé le gouvernement et, particulièrement les Ministres ayant l’Intérieur et la Sécurité ainsi que la Justice dans leurs attributions respectives, de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour assurer la sécurité du Dr Mukwege et l’ouverture des enquêtes sur ces faits ». Pour rappel, les États-Unis d’Amérique, le Canada et l’Union Européenne ont tous condamné les menaces de mort dont est victime le prix Nobel de la Paix 2018
Le Dr est aux avant-postes d’une guerre
Le gynécologue congolais, surnommé l’homme qui répare les femmes, a remporté le prix Nobel de la paix aux côtés de l’Irakienne Nadia Murad, vendredi 5 octobre. Son combat pour la réparation de l’appareil génital des femmes victimes de viol l’a amené à devenir un des principaux détracteurs du président Joseph Kabila.
Nelson Mandela, Yasser Arafat, Desmond Tutu… Denis Mukwege vient de rejoindre quelques-uns des géants de l’histoire universelle au palmarès du prix Nobel de la paix. L’œuvre du docteur n’a certes pas (encore ?) abouti à des résultats aussi tangibles sur la vie de sa chère République démocratique du Congo. Mais il partage avec ces grands hommes l’inébranlable volonté d’alléger le fardeau des siens ou, en l’occurrence, des siennes avançant ainsi vers son propre destin.
Natif de Bukavu, en 1955, dans l’Est du Congo encore belge, grandit au milieu de huit frères et sœurs et sous l’autorité d’un père pasteur dans une église pentecôtiste suédoise ce qu’il deviendra à son tour, à ses heures perdues. Jeune homme, Denis Mukwege traverse la rivière Rusizi pour aller faire des études de médecine, au Burundi voisin.
À son retour, il devient médecin dans l’hôpital de Lemera, sur les moyens plateaux du Sud Kivu, et prend conscience du nombre de complications post-accouchements qui touchent ses compatriotes. Le Zaïre n’est pas encore déchiré par la guerre, mais la santé maternelle est déjà dans un état déplorable.
Mukwege décide de se spécialiser en gynécologie et s’envole pour Angers dans les années 1980. Au terme de ses études, il aurait pu poursuivre une sa carrière dans cette tranquille ville française. Mais il décide de retourner dans son pays, alors agité par l’agonie de la dictature de Mobutu Sese Seko. Il est promu médecin-directeur à Lemera. Il est alors aux avant-postes d’une guerre qui débute, en 1996. Le chef rebelle congolais Laurent-Désiré Kabila vient de prendre la tête d’une coalition fortement soutenue par les armées ougandaises et rwandaises. Dans son hôpital, les patients sous sa responsabilité sont assassinés jusque dans leur lit par ces troupes.
Ces exactions, qui se produisent un peu partout dans l’Est du pays, provoquent la création de groupes d’autodéfense et entament un cycle de violence qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Sous le choc, Mukwege s’est exilé au Kenya. Il aurait à nouveau pu y rester.