Depuis la publication des résultats des législatives par la Cour constitutionnelle, le 30 avril, les manifestations pour les contester n’ont jamais faibli. De Bamako à Kayes, en passant par Sikasso et Sévaré, des manifestants ont toujours dénoncé, bravant les couvre-feux, les différences entre les résultats provisoires annoncés par le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, un des trois organes en charge de l’organisation du scrutin, et ceux publiés par la Cour. Après un temps de lassitude, les manifestations ont repris de l’ampleur depuis le mois de juin, nourries par une série de mécontentements contre le système politique et la gouvernance dans sa globalité. La nomination du président de l’Assemblée nationale du Mali, un ami du fils d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), eut l’effet de l’huile sur le feu. Le fait que le Premier ministre, Boubou Cissé, ait été reconduit à son poste alors qu’il devait normalement démissionner à la suite des tueries du 11 et du 12 juillet 2020, a également envoyé un très mauvais signal. Finalement, c’était IBK et son système de gouvernance qui devaient prendre fin pour le M5. Une grande partie de la jeunesse et de certains leaders du M5, voulaient purement et simplement sa démission. L’intervention de l’armée apparaît, aux yeux des Maliens, comme une solution pour résoudre la crise politique qui ébranle le pays depuis plusieurs mois.
Elu en 2013, la réélection de IBK en 2018 avec 67,7% des voix a connu de vives contestations. Enlevé par des militaires, le 18 août, IBK, l’homme fort du pays n’est plus le président du Mali. Dans la nuit de mardi à mercredi, il a été contraint d’annoncer lui-même sa démission à la télévision nationale ORTM. L’Union africaine (UA) a exigé ce mercredi la « libération immédiate » du président Keita, tout comme l’Union européenne (UE), qui a aussi réclamé le « retour de l’Etat de droit » au Mali. Les Etats-Unis ont dénoncé, par la voix du chef de la diplomatie, Mike Pompeo, une « prise du pouvoir par la force ».
La chute de l’homme fort du pays, dont l’arrestation par l’armée a été condamnée par la communauté internationale, rappelle celle de son prédécesseur, en 2013. Il y a plus de huit ans, en mars 2012, Amadou Toumani Touré, était aussi renversé par l’armée, accusé d’« incompétence » face à une offensive des rebelles touaregs dans le Nord du Mali. La crise avait alors entraîné l’opération française « Serval » au Mali, puis l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta en août 2013. Il existe un lien, mais les deux contextes sont différents. En mars 2012, Amadou Toumani Touré a été renversé car il n’était pas parvenu à résoudre la crise dans le nord du pays, qui était alors attaqué par les rebelles touaregs avec une implication des groupes djihadistes. La promesse d’Ibrahim Boucabar Keita était de ramener l’ordre, mais la situation s’est aggravée. Alors qu’à l’époque, ce problème se cantonnait au Nord du pays, désormais, le centre est également occupé par les groupes terroristes, délaissé par l’Etat. Désormais, il n’y a pas une région où il n’y a pas d’attaque.
Mais la situation sécuritaire n’explique pas tout à la crise actuelle. La crise est multidimensionnelle. Cela fait trois ans que l’école malienne est en panne et, depuis 2012, dans certaines zones au nord du pays, il n’y a plus d’école. Les écoles publiques sont délaissées. Quant aux écoles privées, elles sont inaccessibles, car trop chères pour les citoyens lambda. Les jeunes diplômés n’arrivent pas à trouver du travail, malgré leur formation. Les Maliens ont l’impression que leur pays ne se développe plus, à cause de la corruption et de l’impunité. A cela s’est greffée la crise politique, après les élections législatives organisées en mars et avril. A la question de départ, il ressort que la rue est majoritairement responsable de la sortie brutale de IBK. Mais après lui, à qui le tour ?