Jeudi 20 août, les chefs d’Etats de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) étaient réunis, en vidéoconférence, pour une concertation consacrée à la situation au Mali, où depuis mardi, une mutinerie militaire a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta. Présidée par Mahamadou Issoufou, président du Niger, et président en exercice de la Cédéao, la réunion avait pour objectif principal de condamner unanimement le coup de force perpétré au Mali. « Nous demandons le rétablissement du président Ibrahim Boubacar Keïta en tant que président de la République du Mali », a lancé le président Mahamadou Issoufou au Comité national pour le salut du peuple (Cnsp), junte militaire dirigée par le colonel Assimi Goïta. Pendant le concert de condamnations, un dirigeant Ouest-Africain s’est démarqué.
« Si un coup d’Etat est forcément condamnable, il faut condamner tous les coups d’Etat sans exception. A cet effet, les projets de troisième mandat anticonstitutionnel sont aussi des coups d’Etat et on ne peut pas les laisser prospérer impunément. Donc, si on doit condamner la junte malienne du Cnsp pour avoir fait un putsch, il faut également condamner Alpha Condé et Alassane Ouattara », a tranché Umaro Sissoco Embaló. Ce coup de tonnerre s’est accompagné d’un long silence brisé par les seuls éclats de rire de Muhammadu Buhari, le président du Nigeria, et Macky Sall, le président du Sénégal. Visés par les propos audacieux du jeune président bissau-guinéen, Alpha Condé et Alassane Ouattara sont entrés dans une grande colère. Les dirigeants de Côte d’Ivoire et de Guinée « bénéficient » chacun d’une « remise à zéro » du nombre de mandat présidentiel, situation qui leur permet de briguer un troisième mandat lors des élections qui s’annoncent explosives pour leur pays et pour la sous-région.
Voulant reprendre la main, Alassane Ouattara s’est permis un paternalisme mal placé en appelant le président Umaro Sissoco Embaló « fiston ». Ce dernier a sèchement répliqué : « il n’y a pas de fiston ici, il n’y a pas de petit pays ici. Il y a des chefs d’Etat, qui sont tous égaux et j’entends assumer pleinement la souveraineté de mon pays ». Le calme et la cogitation sont revenus à la suite de l’intervention du président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré. Il a été particulièrement remarquable dans son analyse de la situation au Mali. Empruntant au style de son homologue bissau-guinéen pour désavouer Alassane Ouattara et Alpha Condé, il a soutenu qu’il est illusoire, voire utopique de penser au rétablissement d’Ibrahim Boubacar Keïta au pouvoir. « Diplomatiquement, c’est infaisable. Militairement, c’est aventureux et politiquement, ce serait une agression contre la souveraineté du peuple malien », a justifié Roch Kaboré, refusant de s’inscrire dans cette dynamique. Plutôt que de faire pleuvoir les sanctions sur le Mali, il a proposé qu’on aide le peuple malien à s’inscrire dans un schéma de sortie de crise pour le rétablissement rapide des institutions, dans l’intérêt de ce pays et de la sous-région. Cette position n’a pas tardé à faire l’unanimité. Rajoutant ironiquement une couche, le président Sissoco Embaló a proposé au président Mahamadou Issoufou de continuer à présider la Cédéao jusqu’à la fin de l’année parce que, lui au moins, « n’a pas de problème de troisième mandat dans son pays ».
La réunion a donc fini par tourner au désavantage des deux larrons qui, la veille, se gargarisaient d’un prétendu soutien de leurs homologues et s’imaginaient triomphants. La déculottée a été particulièrement sévère pour Alassane Ouattara, qui, s’imaginant leader de la Cédéao, pensait qu’il pouvait mener ses autres collègues à la baguette. L’envoi d’une mission au Mali a été décidé pour rencontrer les nouvelles autorités et discuter du sort d’Ibrahim Boubacar Keïta et des ministres. Tous les chefs d’Etat ont estimé que pour des raisons « stratégiques », il ne fallait pas associer Alassane Ouattara et Alpha Condé à cette mission de médiation.
Cependant, après la réunion le président Mahamadou Issoufou aurait reçu un coup de fil d’Alassane Ouattara. « Il a insisté, il veut être de la délégation qui se rendra à Bamako. Il considère que ne pas y aller serait faiblir », révèle une source. Alassane Ouattara « entend aller sermonner les soldats et l’opposition malienne. Il assure qu’il faut être ferme avec les militaires comme il le fait en Côte d’Ivoire », poursuit la même source. Le président en exercice de la Cédéao aurait marqué son accord pour que figure le président ivoirien dans la délégation qui se rend à Bamako dès le 22 août.