Vendredi 23 juin, 11h. Evgueni Prigojine publie sur ses réseaux sociaux une vidéo longue de trente minutes. Pour la première fois, le chef du Groupe Wagner remet publiquement en question les raisons pour lesquelles l’intervention militaire russe a été lancée contre l’Ukraine. «La guerre était nécessaire pour qu’un groupe de salauds soit promu.» L’homme accuse «les oligarques» russes qui «avaient besoin de la guerre», alors que Kiev était «prêt à n’importe quel accord». Evgueni Prigojine s’en prend aussi au discours du Kremlin : «Il n’y a aucun contrôle, il n’y a pas de succès militaires», et affirme que les militaires russes «se lavent avec leur sang».
Vendredi 23 juin, 20h. Dans un nouveau message posté sur sa chaîne Telegram, Evgueni Prigojine accuse l’armée russe d’avoir bombardé des camps de base du groupe Wagner à l’arrière du front ukrainien. «Ils ont mené des frappes, des frappes de missiles, sur nos camps à l’arrière. Un très grand nombre de nos combattants ont été tués», affirme-t-il vidéo à l’appui. L’homme promet de «répondre» à ces attaques ordonnées, selon lui, par le ministre russe de la Défense. Une heure plus tard, le commandement russe se défend d’avoir ordonné ces attaques. Mais sur le canal Telegram du milliardaire, les messages audio se multiplient: l’homme appelle à la mutinerie et à «stopper» le haut commandement. Il affirme se lancer dans une «marche pour la justice», disposer de 25 000 hommes et appelle les Russes, notamment les soldats, à se joindre à Wagner.
Vendredi 23 juin, 23h. Les services de sécurité russes (FSB) ouvrent une enquête pour «appel à la mutinerie armée» après l’appel d’Evgueni Prigojine. Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, affirme que Vladimir Poutine est «tenu informé» de la situation et que les «mesures nécessaires» sont en train d’être prises. Dans la nuit de vendredi à samedi, dans une vidéo diffusée sur Telegram par un journaliste de la télévision d’Etat, l’influent général Sergueï Sourovikine appelle les combattants du groupe Wagner à s’«arrêter» et à rentrer dans leurs casernes «avant qu’il ne soit trop tard». Le FSB accuse Evgueni Prigojine d’inciter à la guerre civile et exhorte ses hommes à lui désobéir et à procéder à son arrestation.
Samedi 24 juin, 2h. L’agence de presse d’État russe Tass fait état de la mise en place de mesures de sécurité à Moscou. Des images des réseaux sociaux montrent des véhicules militaires circulant dans la ville, aux abords du ministère de la Défense, et en position devant la Chambre basse du Parlement, la Douma, à quelques dizaines de mètres du Kremlin. À 2h30, Evgueni Prigojine affirme par un nouveau message audio qu’il est entré dans la ville de Rostov, dans le sud de la Russie, proche de la frontière ukrainienne, avec ses hommes. Il jure d’«aller jusqu’au bout» et de «détruire tout ce qui sera mis» sur sa route. Dans plusieurs régions russes, des gouverneurs annoncent à leur tour renforcer les mesures de sécurité.
Samedi 24 juin, 8h. Evgueni Prigojine et ses hommes affirment être entrés dans le quartier général de l’armée russe dans la ville de Rostov, centre clé pour l’assaut contre l’Ukraine, et avoir pris le contrôle de sites militaires, dont un aérodrome. Depuis Londres, l’opposant russe Mikhaïl Khodorkovski appelle à aider le chef du groupe Wagner à combattre le régime de Vladimir Poutine. «Oui, même le diable il faudrait l’aider s’il décidait d’aller contre ce régime! […] Si ce bandit veut déranger l’autre, ce n’est pas le moment de faire la grimace, là maintenant il faut aider», a-t-il écrit sur Telegram. Wagner affirme avoir abattu un hélicoptère russe.
Samedi 24 juin, 10h. En complet noir, l’air grave et le ton martial, Vladimir Poutine s’adresse à la nation lors d’une allocution télévisée. Sans nommer l’homme qui le défie, le président russe l’accuse de trahison et promet de punir les «wagnérites». «C’est un coup de poignard dans le dos de notre pays et de notre peuple. […] Ce à quoi nous faisons face, ce n’est rien d’autre qu’une trahison. Une trahison provoquée par les ambitions démesurées et les intérêts personnels.» Peu après, l’agence de presse biélorusse Belta affirme que le président russe s’est entretenu au téléphone avec son homologue biélorusse et plus proche allié, Alexandre Loukachenko. Il s’agit du premier contact international de Vladimir Poutine depuis le début de cette rébellion lancée vendredi soir.
Samedi 24 juin, l’après-midi. C’est la confusion totale. L’arrivée des combattants de Wagner dans la région de Lipetsk, située à environ 400 kilomètres de Moscou, confirme leur progression en direction de la capitale russe. À l’étranger, la situation est suivie de près. Le premier ministre britannique Rishi Sunak appelle «toutes les parties à être responsables et à protéger les civils». Le président ukrainien Volodymyr Zelensky estime que «la faiblesse de la Russie est évidente» et affirme et que «l’Ukraine est capable de protéger l’Europe contre une contamination par le mal et le chaos russes».
Samedi 24 juin, 20h. Le président biélorusse Alexandre Loukachenko affirme avoir négocié «l’arrêt des mouvements» de troupes de Wagner et une «désescalade des tensions», selon le canal Telegram officieux de la présidence biélorusse. Vingt minutes plus tard, Evgueni Prigojine annonce que ses hommes «rentrent» dans leurs camps pour éviter un bain de sang.
Dmitri Peskov annonce que le patron de Wagner «ira en Biélorussie», jurant qu’Evgueni Prigojine «avait la parole du président» Vladimir Poutine. «L’affaire pénale sera abandonnée contre lui», et «personne ne persécutera» les combattants qui ont suivi Evgueni Prigojine dans son entreprise, «compte tenu de leurs mérites au front» ukrainien, ajoute-t-il. «Certains d’entre eux, s’ils le souhaitent, signeront des contrats avec le Ministère de la défense.»
Samedi 24 juin, 23h. Evgueni Prigojine quitte Rostov dans un SUV noir.